Coordination

«On trouve toujours moins compétent que soi mais plus haut-placé. En fait, un chef connait souvent presque rien sur pas grand chose.»

La hiérarchie

coordi_fig1.png

Hiérarchie pyramidale

Appelée aussi hiérarchie de Kheops, elle existe depuis des temps immémoriaux et se caractérise par la présence d'UN grand-chef au niveau supérieur, un ou plusieurs niveaux intermédiaires de petits-chefs en nombre variable et enfin, au niveau inférieur, la multitude des exécutants. Dans ce type de hiérarchie, l'information circule de la façon suivante , les ordres (et les contre-ordres) de haut en bas, les rapports et comptes-rendus de bas en haut. Ceci est schématisé sur la Fig. 1. Ce système organisationnel semble avoir donné satisfaction pendant des siècles, puisque depuis la construction des pyramides, des cathédrales et jusqu'à un époque récente, il fut le seul en vigueur.


coordi_fig2.png Hiérarchie pyramidale inversée

L'expérience montre que chaque fois qu'un système organisationnel qui donne satisfaction est enfin bien rôdé, on finit par s'en lasser et chercher autre chose. Et on trouve. Sous la poussée soutenue et légitime des personnels des niveaux bas en vue d'atteindre leur niveau d'incompétence, les niveaux supérieurs se sont peuplés au détriment des niveaux inférieurs. C'est ainsi qu'est apparue la hiérarchie pyramidale inversée illustrée par la Fig. 2. Dans cette structure, les chefs sont nombreux, les exécutants fort rares et leur nombre tend asymptotiquement vers zéro. L'information circule toujours comme dans le cas de la Fig.  1, cependant, les ordres eux aussi nombreux, ne sont nullement synchrones et concordants. Devant le désordre et la faible productivité qui en résultent, habituellement attribués à l'exécutant, la plupart des entreprises modernes ont fini par remplacer celui-ci (l'exécutant) par un ordinateur. Cet ordinateur, programmé par un prestataire externe grassement payé, est, lui, parfaitement indifférent à ce que peuvent dire, faire ou penser les chefs. A tel point que c'est en fait lui qui les pilote depuis le bas.

coordi01.jpg

Autrefois, remplacer une ampoule d'éclairage à vis, nécessitait seulement trois personnes, une pour tenir l'ampoule et deux pour tourner l'escabeau. L'adoption de nouveaux moyens techniques associés à une nouvelle structure hiérachique a permis de créer de l'emploi. (Image trouvée sur le web, auteur inconnu).

C o o r d i n a t i o n

coordi_fig3.png

Notre époque peut être caractérisée par une grande aptitude aux changements. On n'attend plus qu'une méthode, une structure, un type d'organisation soit rodés et aient fait leurs preuves pour les mettre au rebut et essayer autre chose. La taylorisation est sur le déclin et la virtualisation est en marche. C'est ainsi qu'est apparu un des derniers avatars de l'organisation de la production des biens ou des services, la coordination. En fait elle existait déjà il y a un demi-siècle et le célèbre physicien Yves Rocard, alors professeur à la Faculté des Sciences de Paris, en avait entrepris une étude mathématique approfondie dès 1946. La coordination fonctionne sur le principe de la Fig. 3. Dans ce système l'information circule dans tous les sens et même si un maillon est rompu, il peut être contourné par un autre chemin. Il n'y a jamais rupture totale et aucun des noeuds de ce réseau maillé, considéré individuellement, n'est indispensable à un instant donné. Il s'agit, en fait, d'une hiérarchie répartie. C'est le principe de l'internet. C'est le principe de base du fonctionnement des institutions européennes selon le traité de Lisbonne. Toutefois, si dans ce cas on devait tracer un graphe de coordination, on devrait probablement le faire dans un espace à quatre dimensions. C'est aussi devenu le principe même de l'organisation du travail dans certaines grandes entreprises. La frontière entre non indispensable et inutile peut paraître si ténue à certaines personnes que des opérateurs ont été conduits au suicide.


coordi02.jpg

Exemple d'une parfaite coordination. (Image trouvée sur le web, auteur inconnu).

De nombreuses entreprises ont obtenu ou postulent en vue de l'btention de la certification ISO 9000, laquelle est maintenant le sésame indispensable pour l'obtention de marchés importants. Cela implique pour ces entreprises de consigner leurs méthodes de production dans des registres de procédures et ensuite de s'y conformer strictement afin d'assurer la reproductibilité parfaite de tout ce qui se passe dans la chaîne de production ainsi que de tout ce qui en sort. Ceci permet, par exemple, de reproduire toujours les mêmes erreurs identiques à elles-mêmes. Ainsi, le destinataire, le client, peut y apporter en aval un correctif standard. On voit d'ici le progrès accompli, imaginez que le client doive apporter un correctif spécifique à chacune des erreurs les plus improbables et différentes survenant à chaque livraison ! Une entreprise tient beaucoup à sa certification ISO car elle a payé cher pour l'obtenir et continue à payer cher pour la maintenir. Tout ceci sous l'oeil vigilant d'un organisme certificateur agréé et sous la responsabilité, en interne, du directeur de la qualité dont c'est l'unique fonction.

Autrefois l'employé de base que nous avons figuré dans la case opérateur de l'organigramme bénéficiait habituellement de l'appellation générique manoeuvre car il utilisait fréquemment ses mains. Depuis que des études récentes semblent montrer que c'est le cerveau qui pilote la main, il est plutôt considéré comme un intellectuel et a vu requalifier sa fonction en celle de technicien. Il s'est même vu attribuer un second qualificatif précisant l'objet, l'espace, le matériau sur lequel il exerce. De même que l'on dit un lapin de garenne, on dit aussi maintenant un(e) technicien(ne) de surface, de volume, d'écoulements fluides, etc... Ce qualificatif et surtout la particule qui l'accompagne, à défaut d'avoir amélioré sa rémunération, ont considérablement annobli sa fonction.

Avouez qu'il y a de quoi s'émerveiller... Et nous n'avons encore rien vu si l'on pense à tout ce qui nous attend.

-- rleb, Sept. 2006

Bibliographie

Le principe de Peter, L.J. Peter et R. Hull, Editions Stock, 1970,
titre d'origine : The Peter Principle © William Morrow and Co, 1969

Coordination, Yves Rocard, Editions des Quatre Seigneurs, Grenoble, 1969

La constitution européenne, Olivier Duhamel, Editions Armand Colin, 2005, ISBN: 9782247058457

    
File: coordination.html, 2006-09-29 - Robert L.E. Billon - Last update: 2010-11-22