Le racisme social pour remplacer le racisme ethnique

Sans doute fallait-il une journée pour se souvenir que l'esclavage en France a été aboli en 1848 [...] (1)

Maintenant y aura-til assez de jours dans l'année pour rendre hommage à toutes les victimes de tous les crimes du capitalisme ? Car, qu'est-ce que l'esclavage ? Un crime contre l'humanité, oui, mais un crime capitaliste contre l'humanité. L'esclavage est le résultat de la logique capitaliste poussée jusqu'à son extrême. Tout est marchandise, tout est vendable, négociable, exploitable. [...]

Si l'infériorité de la "race" noire n'avait pas été communément reconnue du temps de la traite, n'y aurait-il pas eu de traffic d'esclaves ?

Pour répondre à cette question, il suffit de voir ce qui s'est passé au lendemain de l'abolition de l'esclavage. Vendre ou acheter un être humain ont été interdits, mais l'exploitation des Noirs n'a cependant pas cessé. L'esclave libre a été livré nu au marché du travail. Le salariat a remplacé l'esclavage dans le vocabulaire. Dans les faits, pas grand chose n'a changé, étant donné qu'aucune indemnité qui leur aurait permis de changer de statut social, n'a été versée aux esclaves. On n'a plus officiellement exploité le Noir en raison de sa couleur, mais en raison de son origine sociale. Evidemment, les deux racismes sont mêlés ; cependant, de nos jours le capitaliste a l'intelligence de ne plus évoquer que le second pour justifier son traffic de chair humaine. Les pauvres ont beoin de travailler ? Alors ils travailleront aux conditions du capitaliste, on ne choisit pas sa couleur de peau, on ne discriminera personne sur ce critère. En revenche, on choisit d'être riche ou pauvre, laisse-t-il entendre. Celui qui a donc décidé d'être pauvre doit assumer son choix.

En Afrique du Sud, par exemple, l'apartheid racial a été aboli, mais l'apartheid social est toujours en place et, comme par hasard, il épouse les mêmes frontières que l'apartheid racial. Il se passe la même chose chez nous.

Et puis, si l'on fête la fin de l'esclavage, fête-t-on la fin du pillage du continent africain ? Non. Pour une bonne raison il se poursuit encore aujourd'hui. Et si on le dépossède de tout, que peut être un homme sinon un esclave ? Le Noir n'est plus considéré comme une matière première, et on n'affrète plus de bateau pour aller le chercher. Le Noir vient à ses frais pour travailler pour pas grand chose en Europe. Le capitaliste se passe désormais de l'intermédiaire du négrier. C'est toujours ça d'économisé.

Aujourd'hui, à part quelques tarés particulièrement épais, personne ne fait ouvertement la promotion du racisme. La majorité des gens s'accorde à peu près pour dire que tous les hommes naissent libres et égaux en droit. Seul le capitaliste ose nier sans se cacher ce principe. Reconnaître l'égalité entre riches et pauvres serait le suicide programmé du capitalisme. Le noir africain nait avec des dettes et passera sa vie à travailler pour l'Occident afin de les rembourser. Il n'est plus nécessaire de prétendre que le Noir est inférieur au Blanc pour l'asservir, il est socialement inférieur au Blanc, ça suffit.

-- Charb (Stéphane Charbonnier), Charlie Hebdo, Mercredi 17 Mai 2006

(1) L'esclavage fut rétabli en 1802 par Napoléon Bonaparte, provoquant une révolte. Le colonel guadeloupéen Delgrès prend la tête d'une armée d'insurgés, de volontaires et de femmes, aux cris de «Vivre libre ou mourir !». Cette révolte fut écrasée dans le sang par le général Richepanse.

Les tomates de la servitude et de la barbarie

Voltaire, en son temps, expliquait que si l'on ne faisait cultiver la canne par des esclaves, le sucre serait hors de prix. De nos jours la formule s'applique aussi et surtout aux tomates, concombres, poivrons, fraises, que des millions d'européens tiennent absolument à manger hors saison, ce qui est une aberration nutritionnelle, et les payer peu cher. Ces légumes aberrants, pour la saison où ils sont vendus, proviennent, pour la plus grande partie, d'une minuscule zone géographique, la région d'Almeria en Andalousie. C'est là que, dans des milliers d'hectares de serres en plastique, des esclaves marocains, guinéens, sénégalais, péruviens, roumains,... pour la plupart des immigrants non déclarés et dans le plus grand dénument, cultivent les précieux légumes. Ceci afin de satisfaire, d'octobre à avril, le besoin impératif qu'ont certains de manger ces légumes hors saison.

Du temps de Voltaire, un esclave avait un maître qui lui assurait au minimum le gîte et le couvert de façon permanente, même si ceux-ci étaient souvent médiocres. Les esclaves des temps modernes, n'ont un maître que pour la journée et pour unre rémunération qui est généralement comprises entre la moitié et les trois quarts du salaire minimum en vigueur.

Le matin ils s'intallent sur la place du village (un des villages de cette région) et attendent l'arrivée des maîtres. Ceux-ci font leur choix, comme on choisirait du bétail et emmènent leur butin sur le lieu de travail. L'esclave costaud et qui accepte une rémunération suffisamemnt basse peut ainsi assurer son minimum vital pour la journée. Cependant l'offre de force de travail étant supérieure à la demande, pour ceux qui n'auront pas trouvé de maître pour la journée ce sera probablement aussi une journée sans repas.

Les femmes immigrées, en raison d'une force de travail moindre, ont peu de succès dans l'industrie du légume d'été produit en hiver. Elles s'installent dans des baraquements immondes qui tiennent lieu de bordel, lequel est exploité par ceux de leurs congénaires trop paresseux pour travailler dans les serres. Leur état sanitaire n'est apparemment pris en charge par aucune administration.

Voilà pourquoi le chômage s'accroît en Espagne conjointement avec la misère des immigrés et que vous mangez des tomates sans goût pendant les mois d'hiver. Et comment la barbarie s'installe peu à peu dans des pays que l'on croyait engagés sur la voie de la civilisation.

-- rleb, mai 2009