Notes de lectures

Le crapaud-chef

J'hésite, je sais pas si j'ose... J'y vais ou j'y vais pas ? J'ai des scrupules. Pas par rapport à l'objet de mon ressentiment, mais vis à vis de celles d'entre vous qui prennent ce malfaisant pour un saint homme, qui croient encore que ce lâche est un juste. J'ai peur de les heurter. Mais il faut que ça sorte. Faut que je me tape le pape ! Je n'en peut plus du Jean-Paul Deux ! Faites-le taire ! Baillonnez-le ! Enfermez-le ! Eburnez-le ! Foutez-le à la retraite ! Renvoyez-le en Pologne ! Cet homme-là est le pire ennemi des femmes !

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Ce papi satanique semble n'avoir qu'une idée en tête : nous brimer, nous casser, nous empêcher de vivre ! Ce vieillard haineux, chef d'une secte deux fois millénaire, n'a qu'un souci : contrôler la vie d'autrui. Surtout celle des femmes. Il a fait voeu de chasteté. Soit. Il a choisi de ne jamais baiser. Alors, comme des dizaines de papes l'ont imposé avant lui, il décrète que les autres baiseront pas non plus, na. Que deux êtres humains profitent de ces joyeux organes dont le bon Dieu les a agrémentés pour se faire jouir, ça défrise les vieux poils qu'il recroqueville sous la soie de sa soutane, ça lui fait mal aux saints, ça lui ulcère les breloques, ça lui escagasse le pacemaker !

Il faut des années, des dizaines d'années pour escalader jusqu'au sommet la pyramide vaticane, qui, est-il besoin de le préciser, est masculine à cent pour cent. Un pape doit en présenter deux, et bene pendentes, j'invente rien. Plus tu grimpais la hiérarchie à défaut d'autre chose, moins les femmes restées au niveau du sol t'apparaissaient comme des être humains. Tu n'y vois qu'un troupeau de brebis que tu mènes au cimetière via la messe, la contrition et la culpabilité. Les clameurs du monde n'arrivent pas à tes oreilles endurcies par le dogmatisme. Tu restes assis sur tes convictions d'un autre âge comme un incontinent sur son pot.

Les ovaires sont sous contrôle de grenouilles de bénitier qui ont juré depuis des décennies de ne pas approcher une femme. Et toi, le crapaud-chef, tu t'arroges le droit de décider à leur place ce qu'elles font de leur corps, corps oublié, insulté, escroqué.

-- Isabelle Alonso, Et encore je m'retiens ! , Ed. Robert Laffont, Paris 1995, ISBN 2-221-08073-4


Benêts et bouffons

De tous temps, les bouffons ont tenu le haut du pavé, préférant la parade à la réflexion, le pet de bouche à la parole, la pavane à l’explication, l’esbroufe à l’intelligence. Certains, bouffons de haut vol, ont laissé trace dans les livres qui racontent l’Histoire officielle : empereurs, rois, présidents et autres donneurs d’ordres, ils sont souvent affublés de surnoms, comme Le Chauve, Le Grand, Le Terrible, à la façon des marionnettes de théâtres d’enfants. On les a vus affligés de tics, se coiffer d’un bicorne, la main glissée sous la chemise, et orchestrer le massacre de milliers de benêts déguisés en soldats. Car le chef, dans toutes les armées, est celui qui s’autorise des manies, à quoi l’on reconnaît la bouffonnerie de haut rang. Alors que les soldats, petits benêts enrôlés par force, ruse ou vil intérêt, sont tenus à une discipline suffisamment stricte pour les empêcher de penser, le chef, qui ne pense pas plus mais tire profit de la bassesse de ses subordonnés, a le privilège du détail insolite, chapeau, bottine, foulard ou autres babioles qui font la garde-robe des bouffons de statut élevé.

Quand le bouffon est sanguinaire, comme dans les monarchies tyranniques, il n’y a pas nécessité que ses sujets soient des benêts, puisque ceux-ci sont tellement terrorisés qu’ils n’ont d’autre choix que ramper ou crever. La peur lovée au ventre de son public assure au despote le succès à chaque représentation. Il ne lui reste qu’à envoyer ses sbires toucher les taxes qui rempliront ses caisses et les denrées qui garniront ses magasins. Mais l’épouvante qui saisit les clients n’est pas un bon climat pour faire des affaires et le tyran se retrouve sans un sou, une fois pressurés ses sujets jusqu’à leur dernière goutte de sueur. Il lui faut alors battre tambour et faire la guerre pour piller chez les voisins ce qui manque chez lui. A ce jeu mauvais, il va souvent à l’échec, car ses soldats, pas toujours aussi bêtes qu’il en ont l’air, le laissent souvent perdre la bataille.

Ayant compris les mauvais effets de la terreur, les bouffons modernes ont troqué le bas de soie et la cuirasse contre le costume trois-pièces et la tenue de camouflage. Désormais ils se font une spécialité d’être applaudis par des foules de benêts tour à tour producteurs, consommateurs, électeurs, auditeurs et spectateurs. En tant que producteur, ce qui est sa fonction essentielle, le benêt remplit les mêmes tâches que l’esclave, moins les chaînes et le fouet. Il manifeste d’ailleurs son plus grand talent lorsque, privé d’emploi, il pleure pour qu’on lui accorde le privilège de retrouver sa place dans la cohorte des galériens (encore plus benêt, il s’imagine galérer quand il n’a rien à faire, comme si le travail était un repos pour l’esprit et le corps).

En tant que consommateur, le benêt est invité à choisir sur des étagères entre des produits d’égale nullité, dont la plupart ne lui apportent que des surcroîts de servitude. Alors qu’autrefois les esclaves portaient tatoué sur la peau, comme une flétrissure, le symbole de leur servitude, le benêt porte aussi la marque de ses maîtres, mais sur ses habits et il en paie le logo qu’il arbore avec fierté comme si c’était une décoration qu’il avait méritée.

A intervalles réguliers, le benêt devient électeur : on le convie à choisir ses maîtres de cérémonie parmi une liste de petits et moyens bouffons, eux-mêmes plus ou moins benêts. Chaque jour à l’heure du repas, on lui offre en spectacle la gesticulation des pantins supposés le représenter et il s’imagine prendre part à des mesures qui le ligotent chaque fois un peu plus dans ses fonctions de domestique. Car les véritables décisions qui concernent le monde, prises en secret par les super-bouffons de la finance, échappent aux élus. La démocratie réduite à l’Etat est en effet une mise en scène tantôt tragique, tantôt loufoque, qui empêche toute véritable démocratie, choix responsable par les gens des décisions qui les concernent réellement dans leur vie quotidienne, leur habitat, leur activité de production, leur loisir, leur consommation.

De temps en temps, on invite quelques benêts pris au hasard à choisir des réponses parmi un panel d’idées sans consistance, et on présente cette consultation comme résultat d’un sondage d’opinion représentatif de toute la population. S’il ne se retrouve pas dans les options proposées, le sondé est réputé "sans opinion" et n’a pas le droit de penser autrement. Mais la plupart du temps, le benêt ne voit pas que la réponse est déjà précuite dans la question.

Fabriquer du benêt est une des tâches essentielles de l’Etat moderne. Il y faut une certaine dose d’intelligence, mais pas trop. C’est pourquoi les experts, formateurs, consultants et autres remueurs de méninges participant à l’enseignement et à la recherche sont répartis en sections dûment labelisées, dont chacune n’a accès qu’à une partie de l’intelligence des rouages de la société et, surtout, n’a aucune idée de la façon dont on pourrait l’employer, autrement qu’en satisfaisant les besoins des bouffons qui se partagent l’essentiel des richesses du monde.

Lui faire croire qu’il est informé sur tout est un autre moyen de rendre le benêt plus niais encore. En l’abreuvant notamment de nouvelles sur les personnels qui assurent l’exercice du pouvoir, on lui fait croire en la puissance des bouffons. "Etre informé" se résume ainsi à connaître le visage des chefs, à savoir à tout moment où ils se trouvent et ce qu’ils ont déclaré à destination des naïfs qui décortiquent leurs paroles. Le benêt, accoudé au bar ou affalé devant sa télé, commente alors les propos qu’on lui a fait écouter, à la façon dont les supporters discutent les passes des footballeurs sans toucher le ballon.

Le monde, évidemment, n’est pas simplement divisé entre benêts et bouffons. Il ne manque pas de benêts qui jouent au bouffon et de bouffons qui se révèlent de vrais benêts. Tel employé docile, servile devant ses supérieurs, se métamorphose en tyran familial dès qu’il rentre le soir dans son appartement. Tel chef mafieux, rempli de suffisance et de morgue durant la journée, rampe le soir devant sa mère et les femmes de la maison. Tel dirigeant politique va chercher dans l’astrologie l’inspiration de ses discours. Niaiseries de princes, sottises de présidents, fadaises débitées par des intellos notoires, petites croyances ridicules de savants, bigoteries de maîtres d’armes, etc..., sont autant de signes que les bouffons ne contrôlent rien de leurs domaines et sont souvent les benêts de leurs propres mensonges.

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Benêts et bouffons, en fait, ne sont pas tant des personnes que des rôles, des personnages que nous sommes invités à jouer dans le spectacle navrant qui s’appelle "monde moderne", et dont on voit des extraits tous les jours à la télévision. Nous tous, êtres humains, supposés intelligents, nous possédons à notre matricule des costumes réservés de benêts et de bouffons dans nos loges de marionnettes au service des pouvoirs. Mais personne ne nous force vraiment à monter sur scène. Il en est parmi nous qui préfèrent explorer les coulisses. On y rencontre plein de gens intéressants, gais ou tristes, encore vivants. Mais que de bruits déplaisants en provenance de la scène...

-- Paul Castella, jeudi 29 avril 2004
http://www.oulala.net/Portail/spip.php?article1277
(Reproduction possible)


Le degré zéro de la technique

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Ça se passe au Japon, pourtant à deux cents kilomètres de Tokyo, la "capitale du high-tech", avec Sony, Sharp, Canon, Nikon, Toshiba, Yamaha, etc... [...]
Mais à la fin, il reste ça : un hélicoptère qui, haut dans le ciel, lâche des bonbonnes d'eau.
Les yeux du monde sont braqués sur Fukushima, un monde rempli d'ingénieurs, de chercheurs, de trouveurs, d'experts en à-peu-près-tout, de doctorants hyper pointus, mais au bout du bout, les voilà tout nus, réduit à ça : un hélico qui... [...]

Comme un gamin qui pisse sur les braises d'un feu de bois.
Le degré zéro de la technique.

-- Fakir, n°50, mai-juin 2011


The Endian Wars

In 1726 Jonathan Swift told of a dispute between the Little-Endians of Liliput and the Big-Endians of Blefuscu ; 41 000 perished in a war fought to decide which end of a boiled egg to crack. This famous tempest in an egg cup was replayed 250 years later by designers of computer hardware and communications protocols. When a bloc of data is stored or transmitted, either the least-significant bit or the most-significant bit can go first. Which way is better? It hardly matters, although the life would be easier if everyone made the same choice. But that's not what has happened, and so quite a lot of hardware is needed just to swap ends at boundaries between systems.
[...]
Quarrels about notation are hardly unique to the world of computing. In mathematics there was the famous impass between the Leibnitzian dx/dt and the Newtownian x' (known as the war between deity and dotage).

-- Brian Hayes, The semicolon wars, American Scientist, 2006 July-August

En 1726 Jonathan Swift écrivait à propos d'une dispute entre Petits-boutistes de Liliput et Gros-boutistes de Blefuscu ; 41 000 périrent dans une guerre conduite pour décider par quel bout on devait casser un oeuf dur. Cette fameuse tempête dans un coquetier fut rejouée 250 ans plus tard par les concepteurs des ordinateurs et des protocoles de communication. Quand un bloc de données est stocké ou transmis, soit le digit le moins significatif, soit le digit le plus significatif, vient en premier. Quelle voie est la meilleure ? En fait, cela n'a guère d'importance mais la vie serait plus facile si tout le monde avait fait le même choix. Mais ce ne fut pas ce qui survint, et ainsi un tas de matériel est nécessaire juste pour échanger les extrémités aux frontières entre systèmes.
[...]
Les querelles à propos de notation ne sont pas propres au monde des ordinateurs. En mathématiques il y eut la fameuse impasse entre le leibnitzien dx/dt et le newtonien x' (connue comme la guerre entre déité et gâtisme) (*)

(*) En anglais to dot=marquer avec un point mais dotage=gâtisme, une fois traduit le jeu de mots devient moins évident (traduit par rleb)

La femme multitâche

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Dans le vieux débat sur les performances respectives des hommes et des femmes, les hommes avaient un avantage : on les savait meilleurs dans les exercices d'orientation spatiale (lire une carte routère par exemple). Mais un nouveau point vient d'être marqué par les femmes. Keith Laws, de l'université de Hertfordshire (Angleterre) a demandé à une centaine d'hommes et de femmes de faire plusieurs choses en même temps. Résoudre un problème de maths, lire une carte, répondre au téléphone, tout en cherchant une clé perdue, le tout en huit minutes...Et la différence est spectaculaire car 70% des femmes sont meilleures que la moyenne des hommes.
Mais pas besoin de gènes pour expliquer ça, le vécu suffit. Un mec affalé devant un match de foot améliore sa perception spatiale en donnant des conseils aux footballeurs : "A gauche, non à droite, vise la lucarne, crétin !". Pendant que sa femme développe son côté multitâche en faisant la vaisselle tout en surveillant la cuisine et en s'occupant des enfants.

-- Antonio Fischetti, Charlie Hebdo, 28 juillet 2010


Un politique avisé

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Un politique avisé, toujours pressé, souvent en voyages, qualifié d'agité, d'une surprenante énergie, impatient de suractiver la société et s'occupant de tout. Un m'as-tu-vu mégalo aussi, respectant peu les codes politiques traditionnels, susceptible jusqu'à répliquer directement à ses détracteurs sur des points de détail. Cest le portrait énigmatique d'un chef d'état hors normes.

Mais de qui s'agit-il ? Alexandre le Grand ?, Napoléon Bonaparte ?, Nicolas Sarkosi ?


Non. L'empereur Hadrien qui régna de 117 à 138.

-- D'après une analyse, par Alain Dag Naud, du livre Hadrien, l'empereur virtuose d'Yves Roman (Payot Ed.)


Impérialisme

Les Etats-Unis ont survécu à l'aventure vietnamienne; ils peuvent sortir pratiquement indemnes du fiasco irakien. Momentanément déconcerté, l'empire continuera sa route, entre bipartisme, pressions des milieux d'affaires et bénédictions évangéliques. Cette aptitude à s'offrir des gaffes coûteuses - non pas pour les élites mais pour les classes populaires - caractérise d'ailleurs les états impériaux parvenus à maturité. L'empire américain finira certes par s'effondrer, mais les prédictions de déclin précipité sont exagérées. Sans rival militaire à leur mesure, les Etats-Unis demeureront quelque temps encore, l'unique superpuissance du monde. [...]

Au lieu d'établir des colonies territoriales classiques, les Etats-Unis assurent leur hégémonie en installant des bases militaires, navales et aériennes.. Il en existe dans plus de cent pays, les plus récentes en Bulgarie, en Pologne, en Roumanie, au Turkménistan, au Kirghizstan, au Tadjikistan, en Ethiopie et au Kénia. Seize agences de renseignement, dont les bureaux sont disséminés de par le monde, constituent l'ouie et la vue de cet empire sans frontières.

Washington possède douze porte-avions, dont trois seulement ne sont pas nucléaires. Ces bâtiments transportent jusqu'à quatre-vingt avions ou hélicoptères ainsi que de forts contingents de soldats, de marins et de pilotes. Autour de ces bâtiments titanesques gravitent des croiseurs, des destroyers, des sous-marins souvent auto-guidés et équipés de missiles. La marine américaine (*) veille dans des bases éparpillées à la surface du globe et patrouille les principales routes maritimes. Elle est l'épine dorsale, le flux sanguin d'un empire d'un nouveau genre.[...]

-- Arno J. Mayer, professeur émérite d'histoire à l'université de Princeton, Le Monde Diplomatique, septembre 2008.

[...] quand on sait que le Japon abrite encore quelques quatre-vingt-cinq bases américaines (*) (quarante mille soldats) et que, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, l'Archipel s'est pratiquement toujours aligné sur les décisions prises outre-Pacifique.

-- Odaira Namihei, Le Monde Diplomatique, octobre 2009

(*) NDR: lire états-unienne(s)

Immigration

Les immigrants sont jeunes et en bonne santé. Ils cotisent pour les retraités et l'assurance-maladie. Certes, les immigrés perçoivent relativement plus de RMI et d'allocations chômage. Mais les poids lourds de la protection sociale sont la santé et la retraite. Selon le CEPII, l'immigration permet d'économiser, en net, deux points de PIB dans le besoin de financement de la protection sociale. Merci les immigrés.
L'apport des immigrés à l'économie fait penser à l'apport des indigènes (*) à la libération de la France. Pendant que les Français se vautraient dans la collaboration, les indigènes se faisaient hacher menu à Monte-Cassino.

-- Bernard Maris, Charlie Hebdo, 4 Mai 2011

(*) Le petit Larousse illustré, définition 3

Des vessies ou des lanternes ?

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Il est possible que manger de la "vache folle" vous communique la maladie de Creutzfeld-Jakob ; la probabilité globale d'une telle contamination est de l'ordre d'une chance (malchance) sur un million. La consommation de viande bovine a brutalement chuté en France lorsque cette information a été rendue publique. Il est certain que circuler en voiture vous expose au risque d'une collision mortelle ; la probabilité d'un tel accident au cours de votre vie est de l'ordre de un pour mille. Ni les achats de voitures, ni leur taux d'utilisation n'ont diminué depuis que ces faits sonts connus - des décennies.

-- Jean-Marc Lévy-Leblond, Impasciences, (C) Bayard Editions, 2000, ISBN 2-227-13913-7


Je suis inadapté !

La gestion du stress, l'utilisation d'adaptogènes et de suppléments nutritionnels permettent de lutter contre une société de plus en plus exigeante. Or, si d'un point de vue organique, il est important de nous adapter à notre environnement, il peut être inquiétant d'être mentalement aliéné à certaines valeurs de notre monde. Et lorsque l'on parle de personnes soi-disant inadaptées, l'on peut se demander à quoi le sont-elles vraiment ? A un monde antinaturel et infra-humain ? A la concurrence sauvage, au dessèchement mental, à la violence physique et morale, au cynisme, comme à toutes les formes larvées ou brutales du totalitarisme en tant que destruction du plus précieux en l'homme ? Les chercheurs de vérité passent aujourd'hui pour des inadaptés, rêveurs irréalistes, idéalistes attardés et inoffenssifs. Une introspection du monde dans lequel nous vivons, sans faire la politique de l'autruche en cherchant ne serait-ce qu'un zeste de vérité, nous amènera à constater que cette société est de plus en plus inhumaine. Si cette époque, hostile ou seulement indifférente aux valeurs humaines et spirituelles, est fondamentalement malade et anormale, on peut dire que tout individu adapté à ce temps est frappé de la même pathologie et de la même anormalité. [...]

-- Nutra News, décembre 2005

Machines hostiles

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Il n’est pas difficile de faire l’expérience de la violence des portillons automatiques dans les couloirs du métro parisien. Un défaut d’attention, un mouvement décalé, un sac à dos un peu large, un enfant tenu par la main qui n’accepte pas de se press... et la tenaille de caoutchouc broie les épaules ou frappe les tempes. L’aventure fait sourire les usagers quotidiens du métro : ceux-là ont appris à s’adapter aux machines. Les victimes elles-mêmes n’incriminent que leur propre maladresse. Mais imaginons un instant que ces portillons soient remplacés par des vigiles chargés de distribuer des claques ou des coups aux clients ne circulant pas à la bonne vitesse : ce serait scandaleux, insupportable. Nous l’acceptons pourtant de la part des machines, car nous savons qu’elles ne pensent pas. Nous estimons, en conséquence, qu’elles ne sont animées d’aucune mauvaise intention. Erreur : si les automates n’ont pas conscience de leurs actes, ils obéissent toujours à un programme, produit d’un réglage intentionnel.

-- Jean-Noel Lafargue, Le Monde diplomatique, juillet 2011


Le Président

Que peut-il ? Tout. Qu'a-t-il fait ? Rien.
Avec cette pleine puissance,
en huit mois un homme de génie eût changé la face de la France,
de l'Europe peut-être.
Seulement voilà, il a pris la France et n'en sait rien faire.
Dieu sait pourtant que le Président se démène :
il fait rage, il touche à tout, il court après les projets ;
ne pouvant créer, il décrète ; il cherche à donner le change sur sa nullité ;
c'est le mouvement perpétuel ; mais, hélas ! cette roue tourne à vide.

L'homme qui, après sa prise du pouvoir a épousé une princesse étrangère,
est un carriériste avantageux.
Il aime la gloriole, les paillettes, les grands mots, ce qui sonne, ce qui
brille, toutes les verroteries du pouvoir. Il a pour lui l'argent,
l'agio, la banque, la Bourse, le coffre-fort.

Il a des caprices, il faut qu'il les satisfasse.
Quand on mesure l'homme et qu'on le trouve si petit
et qu'ensuite on mesure le succès et qu'on le trouve énorme,
il est impossible que l'esprit n'éprouve pas quelque surprise.

On y ajoutera le cynisme car, la France, il la foule aux pieds,
lui rit au nez, la brave, la nie, l'insulte et la bafoue !
Triste spectacle que celui du galop, à travers l'absurde,
d'un homme médiocre échappé.

Victor Hugo, Napoléon Le Petit

Note: Tout rapprochement ou analogie avec des personnages contemporains serait pure coïncidence.

Plus jamais ça !

Il faut naturellement se garder, au prétexte que ces secteurs confondus constituent effectivement son coeur de cible, de ne faire du citoyennisme que l'expression du désarroi tardif de secteurs dévalorisés, ou passés par pertes et profits, tels que l'enseignement, l'assistance sociale, le syndicalisme, la santé, la culture, etc..., qui assuraient une partie des fonctions d'encadrement nécessaires au fonctionnement de l'ancien Etat-providence. Il ne se limite pas non plus à manifester l'inquiétude plus actuelle minant les secteurs qui s'y substituent : dépollution, décontamination et veille biologique, économie sociale et réseaux associatifs, police de proximité, accompagnement psychologique, réinsertion et autre services de sécurité sociale émergents. [...]

Quand je me suis mis à l'informatique, j'ai découvert l'esprit de coopération désintéressé des hackers et de la communauté du logiciel libre, qui travaille en open source (source libre) : Les auteurs publient l'intégralité du code constituant leur logiciel. Aujourd'hui, la majorité des ordinateurs utilisés en bio-informatique fonctionnent avec le système d'exploitation libre Linux. Il est est bien meilleur que les produits commerciaux équivalents car il est le fruits d'une entraide entre des milliers de bénévoles passionnés. [...]

Le cauchemar qui hante les nuits de la société industrielle, et les nôtres, évoque irrésistiblement le Prestige, ce pétrolier avarié en vue des côtes de Galice. On peut bien tenter de l'exorciser, de le remorquer au large comme fit le gouvernement espagnol : sa cargaison funeste revient toujours et quand le navire maudit finit par se briser et sombrer, c'est pour distiller plus durablement son poison. Notre cauchemar, à nous et à tous ceux qui ne s'accomodent pas d'écoper indéfiniment pour restaurer les apparences, durera aussi longtemps que domineront les voix consentantes de ceux qui supplient à répétition "Plus jamais ça !" et prient pour être débarassés de maux dont ils persistent à vouloir les causes.

-- René Riesel, Du progrès dans la domestication, Editions Encyclopédie des nuisances, 2003, ISBN 2-910386-20-1

Dis papa... c'est quoi la guerre ?

Haie Westhus est emporté avec l'échine fracassée ; à chaque inspiration son poumon bat à travers la blessure. Je puis encore lui serrer la main. "C'est fini, Paul" gémit-il, en se mordant les bras de douleur.
Nous voyons des gens, à qui le crâne a été enlevé, continuer de vivre ; nous voyons courir des soldats dont les deux pieds ont été fauchés ; sur leurs moignons éclatés, ils se traînent en trébuchant jusqu'au prochain trou d'obus ; un soldat de première classe rampe sur ses mains pendant deux kilomètres en traînant derrière lui ses genoux brisés ; un autre se rend au poste de secours, tandis que ses entrailles coulent par-dessus ses mains qui les retiennent ; nous voyons des gens sans bouche, sans mâchoire inférieure, sans figure ; nous rencontrons quelqu'un qui, pendant deux heures, tient serrée avec les dents l'artère de son bras, pour ne point perdre tout son sang ; le soleil se lève, la nuit arrive, les obus sifflent ; la vie s'arrête.
Cependant, le petit morceau de terre déchirée où nous sommes a été conservé, malgré les forces supérieures et seules quelques centaines de mètres ont été sacrifiées, mais pour chaque mètre, il y a un mort.
[...]
Bertlink a reçu une balle dans la poitrine. Un instant après, un éclat d'obus lui fracasse le menton. Le même éclat a encore la force d'emporter la hanche de Leer. Leer gémit et s'appuie sur ses bras. Il perd son sang rapidement. personne ne peut le secourir. Au bout de quelques minutes, il se replie sur lui-même, comme un boyau vide. A quoi lui a-t-il servi d'avoir été à l'école, un si bon mathématicien ?
[...]
En chemin nous traversons un bois pitoyable, avec des troncs mutilés et un sol tout lacéré. A certains endroits il y a des trous effrayants.
- Nom d'un chien ! Ici il en est tombé rudement, dis-je à Kat.
- Des mines, répondit-il en me faisant signe de regarder en l'air.
Dans les branches des arbres, des morts sont accrochés. Un soldat nu semble accroupi sur la fourche d'une branche, le casque est resté sur la tête. En réalité, il n'y a sur l'arbre qu'une moitié de lui, la tronc : les jambes manquent. Je demande ce qui a pu se passer.
- Celui-là ils l'ont sorti tout vif de son habit, grogne Tjaden.
Kat dit :

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- C'est une chose bizarre, nous avons déjà vu ça plusieurs fois. Lorsqu'une mine vous attrape, on est effectivement sorti de son habit. C'est la pression de l'air qui fait ça.
Je cherche encore ailleurs. C'est bien ce qu'il dit. Là-bas sont accrochés uniquement des lambeaux d'uniformes, ailleurs est collée une bouillie sanglante qui, naguère, contituait des membres humains. Un corps est là étendu, avec un morceau de caleçon à une jambe et autour du cou le col d'un uniforme. A part cela, il est nu, ses vêtements sont éparpillés dans un arbre. Les deux bras manquent, comme s'ils avaient été arrachés par torsion ; je découvre l'un d'eux vingt pas plus loin dans la broussaille.
Le mort a le visage contre terre. Là où sont les attaches des bras emportés, le sol est noir de sang. Sous ses pieds, les feuilles sont écrasées, comme si c'est homme les avait encore piétinées.

-- Erich Maria Remarque, A l'Ouest rien de nouveau, traduit de l'Allemand par Alzir Hella et Olivier Bournac. Librairie Stock, Paris, 1930.

    
File: lectures.html, 2011-07-12 - Robert L.E. Billon - Last update: 2013-11-11