Les Gaulois

Chroniques de mon enfance

L'école et le citoyen

Cela se passait vers 1935 - 1945. On pourrait presque dire hier. Les dinosaures avaient déjà disparu de la surface de la terre et Jules Ferry avait déjà été ministre de l'instruction publique. Le maréchal Pétain règnait. Après avoir sauvé la France, il allait cette fois sauver La Patrie, ou plutôt ce qu'il en restait. Il y a des gens qui ont vocation à sauver. Sauve qui peut !

Jusque vers l'âge de sept ans on restait au sein de la famille. Habitant un hameau retiré, l'école du village était fort loin et les moyens de transport totalement inconnus. Les familles se composaient habituellement des grands parents et de la mère. Le père était au loin, retenu au delà du Rhin, en territoire ennemi. Seules une ou deux lettres dans l'année, sans enveloppe et écrites au crayon, nous rappelaient son existence. Son image s'estompait au fil des années.

Un jour vint où il fallut aller à l'école. Voici, éclairé par des lectures ultérieures, ce que j'ai retenu de cette époque. L'école c'était très important car c'est là qu'on apprenait à lire, à écrire et à calculer. Aussi à parler bien sûr. Et là on partait carrément de zéro. Dur d'apprendre une seconde langue quand on n'en a pas déjà une première. En effet si le cochon avait le droit de grogner et la chèvre de bèler, nous ne devions en aucun cas utiliser les sons par lesquels nous nous étions faits comprendre tous les jours durant les sept premières années de notre existence. Ca n'était pas une langue, c'était moins que le cri du porc, c'était carrément quelque chose dont nous devions avoir honte. En cas d'infraction, gare aux coups de baguette de frêne sur les doigts ou les oreilles. Un bon citoyen devait parler Le Français et rien d'autre. Etre citoyen de l'Etat Français était un grand honneur. Cela nous donnait le droit inaliénable et imprescriptible de mourrir pour La Patrie. Quand au droit de vivre, il n'en a jamais été question. Ce n'est que bien des années plus tard que je réalisai que ces sons immondes et interdits, qu'on nous avais fait considérer comme une sorte d'infirmité congénitale, étaient en fait ma langue maternelle. Et que nos cousins Bretons, Basques ou Catalans avaient eu droit à la même introduction à leur vie de citoyens de l'Etat Français.

Il fut un temps aussi ou on nous imposa une sorte de rituel qui consistait à nous faire chanter "Maréchal, nous voilà !" en agitanrt des petits drapeaux en papier. Cela donnait lieu à des mouvements d'ensemble directement inspirés des jeunesses hitlériennes.

Les Gaulois

On nous apprit aussi que nos ancêtres s'appelaient les Gaulois. A défaut d'explication plausible et contre toute évidence, il fallut bien l'admettre. Notre hameau n'avait pourtant rien de Gaulois et de plus il s'appelait Romanieux. Un nom bien Romain. J'appris beaucoup plus tard que ces Gaulois devaient être vraiment très prolifiques car on enseigna aux maghrebins, aux vietnamiens et même aux nègres d'Afrique qu'ils étaient aussi leurs ancêtres. Ces quelques tribus gauloises d'il y a deux mille ans ne se doutaient probablement pas qu'elles allaient contribuer aussi largement au peuplement de la planète.

On peut aussi se demander d'où vient cette référence tenace aux Gaulois de la part de descendants des barbares Francs qui assujettirent par le glaive et le feu des peuples qui jusque là vivaient pour la plupart pacifiquement.

Les guerres

Bref ! On nous enseigna donc Le Français. Le français était d'ailleurs indispensable car c'est dans cette langue que se faisait la levée de l'impôt et l'appel sous les drapeaux. C'était là les deux fonctions principales de l'état. Quand on avait levé l'impôt pendant des années et qu'on était bien armé on déclarait alors la guerre à l'état voisin. Cela durait depuis des générations et souvent on n'avait pas encore fini de pleurer les morts de la précédente que déjà une nouvelle guerre était déclarée. Il ne fallait surtout pas que le peuple ait le temps de reprendre son souffle sinon il aurait bien été capable de réclamer davantage de pain, de loisirs, de bonheur... Qui sait quoi encore ? Ainsi on le maintenait sous pression, les survivants étaient occupés à reconstruire le pays en vue du prochain carnage.

barbeles.jpg

Certaines guerres, mal préparées, manquèrent de peu de donner lieu à un match nul. Ainsi en 1918, à défaut d'une victoire triomphale, il fallut recompter plusieurs fois les morts pour être en mesure de qualifier un vainqueur. Comme de nos jours on recompte les bulletins de vote pour désigner un président pour les Etats-Unis d'Amérique. Certains prétendent même qu'en dernier recours on tira au sort.

Après chaque guerre on répétait pendant quelque temps la même phrase : "Plus jamais çà". Puis on érigeait des monuments aux morts. Cela était le prétexte à des bals et à de grandes festivités. Les morts avaient leur nom gravé sur le monument. La Marseillaise accompagnée par la fanfare municipale puis une minute de silence venaient clore des années de misère et de souffrances. Alors les survivants dansaient au son de l'accordéon puis copulaient après le bal pour préparer les morts de la prochaine. Les grands mutilés dont les plaies n'étaient pas refermées ainsi que les amputés qui n'étaient pas en mesure de danser se contentaient de boire du vin rouge en évoquant d'horribles souvenirs.

mitrailleuse.jpg

Les colonies

Dans les périodes creuses, c'est à dire quand aucun état voisin n'était prêt à guerroyer, après avoir dépeuplé nos campagnes on envoyait nos armées pléthoriques massacrer les populations civiles en Afrique ou en Asie. Lorsque le sabre était passé, on envoyait ensuite le goupillon pour apprendre aux survivants à nous dire merci de tous les bienfaits que nous leur avions apportés. L'ignorance de ces populations était telle que c'était considéré comme un devoir de leur apporter notre civilisation, leur apprendre Le Français et, bien sûr, que leurs ancêtres s'appelaient les Gaulois. Cela permettait par la même occasion de les débarasser d'un tas de choses dont ils n'avaient que faire : minerais, métaux précieux, épices... Celà permit à certains hommes d'affaires avisés de se constituer de très belles fortunes. Il devaient être d'une grande modestie car leur nom ne figure jamais sur les monuments aux morts.

La géographie

Nous apprimes aussi la géographie et c'était pas triste non plus. La France était délimitée par SES FRONTIERES NATURELLES. Celles-ci avaient du être tracées par un âne aveugle auquel on avait bandé les yeux. Ainsi, après avoir partagé en parts inégales des pays tels que le Pays Basque et la Catalogne, cette frontière passait ensuite bien au sud de l'équateur et de Madagascar. On trouvait alors une frontière commune avec la Chine, puis retour vers Menton et là on remontait vers le Nord le long des Alpes. Au passage elle coupait en deux l'ancienne république de Briançon. A l'Est elle suivait en principe le cours du Rhin, lequel Rhin était farceur et changeait quelquefois de lit au cours de ses crues. A l'Ouest, après avoir piétiné les traités qui liaient la Bretagne à la France, cette frontière passait au large de l'ile de Sein, englobait la Guyane pour revenir enfin au pied des Pyrénées. Je ne fut pas très bon en géographie.

-- Robert L.E. Billon

    
File: gaulois.html, 2002-10-01 - Robert L.E. Billon - Last update: 2010-11-26