Michel Foucault, SURVEILLER ET PUNIR

Ed. Gallimard 1975, re-édité en 2007, ISBN 978-2-07-072968-5

Citations extraites du livre

("Apodologie")
p.177
«Accoutumer les soldats en marchant par file ou en bataillon, de marcher à la cadence du tambour. Et pour le faire, il faut commencer par le pied droit, afin que toute la troupe se rencontre à lever le même pied en même temps.»
(Repris de : L. de Montgommery, La Milice française, ed. 1636, p.86)

Milieu du XVIIIe siècle, quatre sortes de pas : "La longueur du petit pas sera d'un pied, celle du pas ordinaire de deux pieds, du pas redoublé et du pas de route de deux pieds, le tout mesuré d'un talon à l'autre ; quant à la durée, celle du petit pas et du pas ordinaire sera d'une seconde, pendant laquelle on fera deux pas redoublés; la durée du pas de route sera d'un peu plus d'une seconde. Le pas oblique se fera dans le même espace d'une seconde ; le pas au plus de 18 pouces d'un talon à l'autre... On exécutera le pas ordinaire en avant en tenant la tête haute et le corps droit, en se contenant en équilibre successivement sur une seule jambe, et portant l'autre en avant, le jarret tendu, la pointe du pied un peu tournée en dehors et basse pour raser sans affectation le terrain sur lequel on devra marcher et poser le pied à terre, de manière que chaque partie y appuie en même temps sans frapper contre terre."
(Ordonnance du 1er janvier 1766, pour régler l'exercice de l'infanterie.)


(Le panopticon)
p.233
Le Panopticon de Bentham est la figure architecturale de cette composition. On en connait le principe ; à la périphérie un bâtiment en anneau; au centre, une tour ; celle-ci est percée de larges fenêtres qui ouvrent sur la face intérieure de l'anneau ; le bâtiment périphérique est divisé en cellules, dont chacune traverse toute l'épisseur du bâtiment ; elles ont deux fenêtres, l'une vers l'intérieur, correspondant aux fenêtres de la tour ; l'autre, donnant à l'extérieur, permet à la lumière de traverser la cellule de part en part. Il suffit alors de placer un surveillanr dans la tour centrale, et dans chaque cellule d'enfermer un fou, un malade, un condamné, un ouvrier ou un écolier. Par l'effet du contre-jour, on peut saisir de la tour, se découpant exactement sur la lumière, les petites silhouettes captives dans les cellules de la périphérie. Autant de cages, autant de petits théâtres, où chaque acteur est seul, parfaitement individualisé et constamment visible. Le dispositif panoptique aménage des unités spatiales qui permettent de voir sans arrêt et de reconnaître aussitôt. [...]
De là, l'effet majeur du Panoptique : induire chez le détenu un état conscient et permanent de visibilité qui assure le fonctionnement automatique du pouvoir. Faire que la surveillance soit permanente dans ses effets, même si elle est discontinue dans son action ; que la perfection du pouvoir tende à rendre inutile l'actualité de son exercice [...] Bentham a posé le principe que le pouvoir devait être visible et invérifiable. Visible : sans cesse le détenu aura devant les yeux la haute silhouette de la tour centrale d'où il est épié. Invérifiable : le détenu ne doit jamais savoir s'il est actuellement regardé ; mais il doit être sûr qu'il peut toujours l'être. [...]
Mais le Panopticon ne doit pas être compris comme un édifice onirique : c'est le diagramme d'un mécanisme de pouvoir ramené à sa forme idéale ; son fonctionnement, abstrait de tout obstacle, résistance ou frottement, peut bien être représenté comme un pur système architectural et optique : c'est en fait une figure de technologie politique qu'on peut et qu'on doit détacher de tout usage spécifique.

p.239
Il est polyvalent dans ses applications ; il sert à amender les prisonniers, mais aussi à soigner les malades, à instruire les écoliers, à garder les fous, à surveiller les ouvriers, à faire travailler les mendiants et les oisifs.

(La machine administrative)
p.248
[...] les lieutenances de police et la lieutenance générale qui les couronnait à Paris les transposait dans une machine administrative, unitaire et rigoureuse : "Tous les rayons de force et d'instruction qui partent de la circonférence viennent aboutir au lieutenant général. C'est lui qui fait marcher toutes les roues dont l'ensemble produit l'ordre et l'harmonie... Les effets de son administration ne peuvent être mieux comparés qu'au mouvement des corps célestes."


(Accoutumance)
p.250
"Le souverain par une sage police accoutume le peuple à l'ordre et à l'obéissance."
(E. de Vattel, Le Droit des gens, 1768, p.162)

p.355
La généralité carcérale, en jouant dans toute l'épaisseur du corps social et en mêlant sans cesse l'art de rectifier au droit de punir, abaisse le niveau à partir duquel il devient naturel et acceptable d'êre puni.




(Éloge du panoptic par Julius)
p.252
Peu d'années après Bentham, Julius rédigeait le certificat de naissance de cette société. Parlant du principe panoptique il disait qu'il avait là bien plus qu'une ingéniosité architecturale : un évènement dans "l'histoire de l'esprit humain". En apparence, ce n'est que la solution d'un problème technique ; mais à travers elle tout un type de société se dessine. L'Antiquité avait été une civilisation du spectacle "Rendre accessible à une multitude l'inspection d'un petit nombre d'objets" : à ce problème répondait l'architecture des temples, des théatres, des cirques. [...]
L'âge moderne pose le problème inverse : "Procurer à un petit nombre, ou même à un seul la vue instantannée d'une multitude. " Dans une société où les les éléments principaux ne sont plus la communauté et la vie publique, mais les individus privés d'une part, et l'État de l'autre, les rapports ne peuvent se régler que dans une forme exactement inverse du spaectacle : "c'est au temps moderne, à l'influence toujours croissante de l'État, à son intervention de jour en jour plus profonde dans tous les détails et toutes les relations de la vie sociale qu'il était réservé d'en augmenter et d'en perfectionner les garanties, en utilisant et en dirigeant vers ce grand but la construction et la distribution d'édifices destinés à surveiller en même temps une multitude d'hommes".
(D'après N.H. Julius, Leçons sur les prisons, traduc. française, 1831, I, p.384-386)




(Surveillance)
p.327
Surveillance générale de la population, vigilance muette, mystérieuse, inaperçue... C'est l'oeil du gouvernement incessamment ouvert et veillant indistinctement sur tous les citoyens sans pour cela les soumettre à aucune mesure de coercition quelconque...




Présentation du livre (la prison)
4ème/ de couverture
D'où vient cette étrange pratique et le curieux projet d'enfermer pour redresser, que portent avec eux les codes pénaux de l'époque moderne ? Un vieil héritage des cachots du Moyen Âge ? Plutôt une technologie nouvelle : la mise au point, du XVIe au XIXe siècle, de tout un ensemble de procédures pour quadriller, contrôler, mesurer, dresser les induvidus, les rendre à la fois "dociles et utiles". Surveillance, exercices, manoeuvres, notations, rangs et places, classements, examens, enregistrements, toute une manière d'assujettir les corps, de maîtriser les multiplicités humaines et de manipuler leurs forces s'est développée au cours des siècles classiques, dans les hôpitaux, l'armée, dans les écoles, les collèges ou les ateliers : la discipline.
La prison est à replacer dans la formation de cette société de surveillance.


Eh oui. C'est bien la loi qu'impose la classe dominante à la classe laborieuse qui pousse celle-ci vers l'illégalité, voire vers la délinquance. Donnant ainsi prétexte à l'État de surveiller et de punir, la surveillance vidéo tenant lieu de panoptique. IL est curieux de constater que parmi les divers établissements de servage que propose la société au citoyen : cloître, collège, maison de prostitution, armée, prison, usine et autres galères, beaucoup choisissent encore l'usine.
-- rleb, Mai 2008