Le Projet Manhattan

Une entreprise colossale

En 1942 la crainte que l'Allemagne nazie réalise la première l'arme de destruction massive qu'entrevoyaient les physiciens de l'époque conduisit à la mise sur pied, sous la houlette du général Leslie Groves, du Projet Manhattan, lequel employa jusqu'à 100 000 personnes.

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La seule méthode connue à ce moment là pour séparer l'isotope 235U, présent à la concentration de 0,7 pour cent dans l'uranium naturel, de son frère jumeau 238U, était basé sur la spectrométrie de masse. Pour obtenir des quantités macroscopiques de 235U, seul utilisable pour faire une bombe, il fallait installer un grand nombre de séparateurs (nommés calutrons, un acronyme de California University Cyclotron), ce qui conduisit à la création de l'usine de production Y-12, un énorme complexe industriel de 200 batiments occupant 5000 personnes et où nul ne savait ce qu'il produisait ni la destination de ce qu'il produisait, vu le secret militaire total qui entourait le Projet Manhattan.

Chacun des calutrons nécessitait de gros électro-aimants, donc beaucoup de cuivre pour réaliser les bobines et les barres d'alimentation pouvant véhiculer des courants de 30 000 ampères. En temps de guerre l'usage militaire du cuivre est prioritaire, par exemple pour faire les douilles d'obus, par suite c'est un produit devenu rare. D'autre part le prélèvement de telles quantités sur le marché aurait pu porter atteinte au secret du Projet Manhattan, c'est pourquoi on pensa utiliser l'argent comme substitut du cuivre et le Congrès autorisa l'utilisation jusqu'à concurrence de 86 000 tonnes d'argent du Treasury Department, réserve destinée à la frappe de la monnaie. Ce métal emprunté pour une durée de cinq ans fut remis dans son état d'origine et restitué à la fin du projet.

L'isotope 235U tant désiré s'accumula graduellement à Oak Ridge. Vers avril 1945, le complexe Y-12 avait produit seulement 25 kilos d'uranium "qualité bombe", et en conjonction avec d'autres méthodes d'enrichissement qui entre temps avaient vu le jour, la production atteignit environ 200 grammes par jour. Vers la mi-juillet l'ensemble des moyens mis en oeuvre avait produit un peu plus de 50 kilos de 235U. A ce moment là, le complexe Y-12 avait déjà consommé 1,6 milliard de klowatts-heure d'électricité, soit environ 100 fois l'énergie libérée par la bombe, nommée Little Boy, qui fut lachée au-dessus d'Hiroshima, le 6 août 1945.

-- Traduit et adapté de Cameron Reed, From Treasury Vault to the Manhattan Project, American Scientist January-February 2011.

Commentaires

(1) Le rendement énergétique de l'explosion fut donc seulement de 1 pour cent. Le nombre de morts suite à la bombe lâchée sur Hiroshima est estimé à environ 250 000, que l'on comparera avantageusement au nombre de personnes ayant travaillé pour le Projet Manhattan à un moment ou à un autre, ce qui permet de calculer approximativement le nombre de morts par personne. Soit environ deux morts par personne.

(2) La bombe A fait l'objet du brevet d'invention numéro 971-324 portant sur "Perfectionnements aux charges explosives". Déposé le 4 mai 1939 par la Caisse nationale de la recherche scientifique — concernant les travaux de Frédéric Joliot-Curie, Hans Halban et Lew Kowarski — le brevet tombe dans le domaine public en 1959 (désormais n'importe qui peu construire une bombe selon le brevet sans avoir à payer de redevances aux inventeurs). A celui-ci s'ajoutent quatre autres brevets déposés de 1939 à 1940 et portant sur la production d'énergie. Nonobstant leur importance, ces brevets ont peu rapporté en redevances. Une partie de l'argent récolté est affectée à la recherche scientifique via l'attribution de bourses.

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(3) L'Uranium ayant une masse volumique de 19,05 kg/dm3, la quantité théorique minimale nécessaire pour une bombe, appelée masse critique, pourrait tenir dans la main. Un tel échantillon doit obligatoirement rester virtuel car une telle manipulation est vivement déconseillée sous peine de permettre à une réaction en chaîne de s'établir, donnant lieu à l'émission d'un flux intense de neutrons, ainsi qu'à la destruction probable de l'échantillon et de l'opérateur.


(4) En 1946, à l'initiative du président Harry S. Truman fut créée l'Atomic Bomb Casualty Commission (ABCC) afin de conduire des investigations sur les effets subséquents à l'exposition aux radiations sur les survivants aux bombes d'Hiroshima et de Nagasaki. Son but était purement scientifique et non d'apporter des soins médicaux. L'ABCC fut dissoute en 1975. Ainsi, durant près de trente ans, la survie, l'agonie ou le décès des malheureux survivants furent minutieusement étudiés, et avec les mêmes égards et contraintes comme on le fait habituellement avec des rats de laboratoire. Il semble que les travaux de l'ABCC furent modérément apréciés par les survivants et les japonais en général.

-- rleb, mai 2011

Pour en savoir plus

Vous l'aviez peut-être deviné, la glose ci-dessus sert uniquement de prétexte à vous communiquer quelques liens utiles si vous souhaitez aprofondir ce sujet.

wikipedia.org/wiki/Projet_Manhattan

wikipedia.org/wiki/Bombe_A

wikipedia.org/wiki/Masse_critique

wikipedia.org/wiki/Uranium

en.wikipedia.org/wiki/Atomic_Bomb_Casualty_Commission

temoignages.re/une-bombe-atomique-sur-hiroshima

tatoufaux.com/Albert-Einstein-a-inspire-la-bombe

        
File: uranium.html - Robert L.E. Billon, 2011-06-01 - Last update: 2011-06-02