Les philosophes

Nous devrions lire davantage les philosophes
et autres penseurs, quitte à n'en retenir que
le meilleur.

Détour culturel

Les hommes parlent d'amour, récitents des vers, offrent des parfums, déclament avec des roucoulades dans la gorge, ils envoient des messages à l'eau de rose, invitent au restaurant, ouvrent des comptes joints, mais rien ne les distingue dans le fond de l'âne au membre turgescent courant après l'ânesse dont il a repéré les avantages. Le second économise le détour culturel [...]

-- Michel Onfray, Fééries anatomiques, Editions Grasset et Fasquelle, 2003

Gastronomie hospitalière

[...] les odeurs fades du repas de l'hôpital. Les endives baignent dans l'eau verdâtre de leur cuisson, la purée se recouvre d'une couche jaunasse, les pâtes collent et forment un noeud gluant, le jambon brille d'une pellicule grasse, collante, la viande procède plus du cadavre de porc ou de boeuf sur lequel elle a été prélevée que d'une cuisine digne de ce nom. Un jus d'orange tiède accompagne l'ensemble. Le dessert tremblotte, gélifié, ...

-- Michel Onfray, Fééries anatomiques, Editions Grasset et Fasquelle, 2003

St Augustin, La cité de Dieu

Le grand livre des inepties chrétiennes qui a fait loi pendant des siècles, le précise : Job plutôt que Caton... Souffrir en silence sur son tas de fumier, couvert d'escarres et de pourriture, gémissant, transformé en une immense plaie, acceptant l'épreuve envoyée par Dieu plutôt que prendre congé de l'existence avec la grandeur de celui qui ne supporte pas de consacrer sa vie à la salir, la détester, la soumettre aux pulsions de mort, à jouir du mal qu'on s'inflige. Le Docteur de l'Eglise établit les raisons pour lesquelles on pourrait se suicider et les récuse toutes. Une petite tolérance : quand la voix de Dieu nous invite à mourir dévoré par les lions en martyr, on ne parle pas de suicide... Quand Dieu commande on peut difficilement se soustraire à son vouloir ! Surtout quand les hommes du clergé - dont l'évêque d'Hippone... - disposent du monopole légal de porte-voix du Seigneur...

-- Michel Onfray, Fééries anatomiques, Editions Grasset et Fasquelle, 2003

Boire en pissant

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Depuis des centaines de milliers d'années, l'immense majorité des humains vit et meurt sans avoir connu l'expérience qui va suivre. Elle est pourtant extrêmement facile, et particulièrement intéressante. Comme tout le monde, vous pissez. Et vous buvez à d'autres moments. Vous ignorez ce qu'on peut éprouver quand on fait les deux en même temps. cette expérience va vous permettre de le découvrir.

Vous aurez donc, tout bêtement, préparé un grand verre d'eau. Quand vous commencez à uriner, commencez à boire. Vous devez, autant que possible, boire de façon continue, d'un trait, sans temps d'arrêt. Des sensations tout à fait insolites vous habitent aussitôt. L'eau qui sort par votre sexe entre presque aussitôt en continuité avec celle qui entre par votre bouche. Vous allez donc soudainement imaginer, et surtout éprouver, une organisation de votre corps que vous n'aviez pas même soupçonnée possible. L'eau que vous buvez vous paraît sortir directement de votre vessie. Vous découvrez en quelques secondes un circuit direct, gorge-urètre, un parcours instantané estomac-vessie, une physiologie impossible que cependant vous éprouvez de manière directe et indiscutable.

Vous vous inventez en quelques secondes un corps délirant, simplissime, et que pourtant vous éprouvez, de manière manifeste, indubitable. Plus d'intestin, de reins, de temps d'attente, de filtrage, de dialyse. L'eau circule en vous à la verticale, vous êtes traversé par le liquide frais, lavé du dedans, nettoyé d'une manière singulière et palpable. Votre organisme parait ouvert du dedans, l'eau circule souplement entre intérieur et extérieur, comme, au choix, un flux cosmique ou un lavage automatique.

Cette expérience, renouvelable indéfiniment, d'un coût nul, toujours susceptible de réserver de nouvelle découvertes ou de curieuses surprises, n'est pas considérée comme une cure thermale.

-- Roger-Pol Droit, 101 Expériences de Philosophie Quotidienne, Editions Odile Jacob, ISBN: 2-7381-1218-8


Le vêtement

Il y a des milliers d'années que les vêtements ne servent plus à se protéger du froid ou de la pluie, ni à préserver une supposée pudeur. Il semble difficile d'envisager que même les plus primitifs aient pu avoir uniquement un rôle thermique. Sans doute une fonction symbolique leur a-t-elle toujours été associée. On remarquera au passage que dans aucune société que les anthropologues donnent à connaître le vêtement ne se réduit à une simple utilité pratique. Il est toujours codé, pris dans les jeux du pouvoir, des rôles sociaux.

-- Roger-Pol Droit, 101 Expériences de Philosophie Quotidienne, Editions Odile Jacob, ISBN: 2-7381-1218-8

La télévision

Commencez donc par couper le son, et regardez. Vous allez traverser d'abord une couche de ridicule. Il est vrai qu'ils sont risibles, ces gens qui débattent, s'animent et s'échauffent sans qu'on sache pourquoi, ces présentatrices qui minaudent, gigotent, sourient avant le générique et en attendant la prochaine. Risibles les chanteurs sans voix, les journalistes muets, les acteurs qui articulent sans proférer un son et hurlent en silence, les publicités sans musique ni enthousiasme.

-- Roger-Pol Droit, 101 Expériences de Philosophie Quotidienne, Editions Odile Jacob, ISBN: 2-7381-1218-8

Un rite (parmi d'autres)

Ceux qui aiment les formes fixes n'ont pas cessé de le répéter : faites les gestes, la croyance viendra. Mettez-vous à genoux, récitez comme il le faut, la foi finira bien par suivre. Quoique très offensante pour ceux qu'anime une conviction vraie, cette opinion n'est sans doute pas dénuée de fondement. Il est possible de s'en rendre compte au moyen de l'expérience suivante.

Réservez pendant quelques jours quinze minutes dans votre emploi du temps, toujours à la même heure. Au cours de ce quart d'heure, lisez à voix haute un nombre toujours identique de pages de l'annuaire du téléphone. Vous articulerez intelligiblement, ligne après ligne, les noms, prénoms, adresses et numéros. Vous aurez pris soin de chercher un annuaire plutôt ancien. Ce n'est pas indispensable. Mais il n'est pas mauvais que cette lecture puisse sembler aussi dépourvue que posssible de toute utilité et rattachée à un texte déjà vénérable, transmis au fil du temps.

Ne cherchez pas pour autant comment affubler d'un sens votre récitation. Ecartez l'idée que vous implorez l'esprit des centraux pour les abonnés défunts, ou que vous entretenez par votre prière la grande interconnexion universelle. Non. Vous lisez tous les jours à genoux, pendant quinze minutes, des pages de l'annuaire du téléphone. Un point c'est tout. Cela s'appelle une pratique. Tout le reste n'est que commentaire et fioritures.

En dehors d'éventuelles douleurs dans les genoux, que pouvez-vous retirer de cette expérience ? La force extrême de ces contraintes absurdes, la fascination bizzare qu'elles exercent, le pouvoir qu'on ne peut manquer, confusément, de leur prêter. Car il y a de fortes chances que vous ne puissiez pas continuer sans forger une explication. Vous commencerez probablement à échaffauder quelque raison de votre conduite. Vous élaborerez, même pour rire, un mythe permettant de rendre compte de cette lecture, de son but et de sa portée.

Si vous ne parvenez pas à arrêter, fondez une secte.

-- Roger-Pol Droit, 101 Expériences de Philosophie Quotidienne, Editions Odile Jacob, ISBN: 2-7381-1218-8

A défaut d'être extra, soyons lucides

On nous a tant dit que nous étions exceptionnels ! Centre du monde, enfants de Dieu, conscience du tout, sel de la terre, intelligence, êtres parlants, esprit des sciences, vecteur de progrès. Notre existence fut si fêtée par tant de mythes, de religions, de philosophies, de discours complaisants qu'on ne comprend plus nos échecs, no bassesses, nos guerres interminables et nos boues sans nombre. Il y eut bien sûr toutes sortes de solutions de rattrapage, expliquant notre chute, notre malédiction et notre double visage.

[...] Considérez que l'humanité est un hazard, un ratage, un accident biologique. Elle s'est développée sans ordre, sur un caillou perdu, dans un coin infinitésimal. Elle disparaîtra un jour à jamais, sans que nul en ait mémoire, sans que personne s'en soucie. Au cours des dizaines de milliers d'années où elle aura survécu, cette curieuse espèce aura interminablement stagné. Puis elle se sera multipliée inconsidérément en saccageant son lieu de vie. Elle aura aussi accumulé avant de disparaître, une quantité de souffrances inimaginables et inutiles, des massacres et des famines, des servitudes et des oppressions.

Observez lucidement cette espèce absurde et violente. Regardez en face son absence de justification, son existence éphémère et insensée. Exercez-vous à endurer cette idée que l'humanité n'a fondamentalement ni raison d'être ni avenir. [...]

-- Roger-Pol Droit, 101 Expériences de Philosophie Quotidienne, Editions Odile Jacob, ISBN: 2-7381-1218-8

Le travail

Ce n'est pas à la perfection de l'outillage, c'est au bien-être de l'ouvrier qu'il convient de mesurer le degré de la civilisation. L'homme est, dit-on, l'artisan de son propre bonheur. Encore faut-il que la société lui laisse le loisir d'y travailler, qu'elle ne l'abrutisse pas sous une tâche au-dessus de ses forces, qu'elle crée autour de lui une athmosphère de solidarité et de justice, où se développent les bons sentiments, où s'atrophient les autres.

-- Alexandre Millerand (Paris 1859 - Versailles 1943) Président de la république 1920-1924
in Jean Lacouture, Paroles de présidents, Dalloz, ISBN 2 24707043 4

Particules

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Qui donc construit télescopes et accélérateurs géants ?
Dans les journaux, on donne le nom des savants.
Les savants serrent-ils-les écrous ?
Von Braun fabrique les fusées de la NASA.
Tout seul ?

Gell Mann découvre les mystères des particules élémentaires.
N'a-t-il pas à ses côtés au moins une sécrétaire ?
Quand la bombe éclata, Oppenheimer trembla.
Personne d'autre ne tremblait ?

A chaque page une découverte.
Qui imprime les livres ?
Tous les ans, un prix Nobel.
Son laboratoire qui le balaie ?

Autant de récits,
Autants de questions.

-- D'après Bertholt Brecht, Questions que pose un ouvrier en lisant. in Poèmes, vol. 4 (L'Arche). Cité par Jean-Marc Lévy-Leblond dans L'Esprit de Sel, Editions du Seuil, 1984. ISBN 9782020066921


Colonie temporaire

We are temporary colonies made by our genes to propagate them to the next generation.

-- Carl Zimmer, Scientific American, January 2007


Le présent

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Photo sablier rleb, 2014
Image composite rleb, 2014


L’instant présent est un concept ancien en rapport avec la philosophie de l'espace et du temps. Il concerne ce qui se situe entre le passé et l’avenir : l’instant immédiat. Vivre l’instant présent est censé assurer une vie satisfaisante. Cependant Hegel, a mis en doute la possibilité de vivre réellement cet instant. Selon Hegel, dans La phénoménologie de l'esprit "Le maintenant est justement ceci de n'être déjà plus quand il est". Il lui semble que cet instant ne peut pas être vécu puisqu’il a déjà disparu au moment où l’on en prend conscience.

"Carpe diem", une locution latine extraite d'un poème d'Horace du Ier siècle de l'ère commune semble être une des premières à représenter l'instant présent. On la traduit traduit par "Cueille le jour présent".

Mais alors, l’instant présent existe-t-il ?

Vous allez me dire "Mais lorsque le café est passé... il est encore présent !". Rappelons simplement qu'ici on ne parle pas du café mais du temps et de l'univers.
Ah mais...

Si on se rapporte à l'image du sablier, utilisée ici comme modèle simplifié, on voit très bien que le présent n'est que le point de passage entre le futur et le passé. Il est entièrement virtuel et, tel un point en mathématiques, il n'a ni consistance, ni dimension, ni durée. Nos souvenirs se nourrissent du passée et nos attentes du futur. Le passé, comme son nom l'indique bien, est constitué de l'ensemble de ce qui est déjà passé par l'étroit goulot du sablier. Quant au futur il est constitué par tout ce qui reste à passer.

"Je n'ai pas le temps". Combien de fois n'avons-nous pas entendu cette expression. Bien sûr que nous n'avons pas le temps, pas plus que nous n'avons la longueur ou le volume. Le temps n'étant qu'une dimension de l'espace-temps. Ou bien : "Le temps passe vite". Non, le temps ne passe pas, c'est nous qui passons... par le goulot du sablier. Le goulot du sablier est vraiment très étroit, c'est ainsi qu'un humain met en moyenne environ 80 ans à le franchir. Cependant, comme dans les couloirs du métro, nous ne sommes pas seuls à passer, il y a toute la foule, et certains jours ça coince un peu. (Surtout les jours de départ en vacances).

Afin de ne pas s'égarer sans l'espace-temps l'humain a besoin de repères. Ces repères, il les pose à l'aide d'horloges et de calendriers. Certains prétendent que le présent est un cadeau, c'est sans doute pour cela qu'on l'appelle présent. (Veuillez pardonner le jeu de mots un peu facile). Le futur aurait commencé à s'écouler à la suite d'un évènement que les cosmologistes nomment big bang (gros boum) et qui se serait produit il y a environ 14 milliards d'années. Cela correspond à ce qui est aujourd'hui au fond du sablier. Un fond qu'avec les moyens modernes on aperçoit... presque. Certains spécialistes de l'astrophysique pensent que lorsque tout le futur se sera écoulé il pourrait y avoir un big crunch (un gros... n'importe quoi), Tout se passerait alors comme si un être suprême avait retourné le sablier... et nous repartirions pour un tour. Attendons de voir !

-- rleb, 12 avril 2014

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Pourquoi y a-t-il quelque chose ?

Pourquoi il y a quelque chose plutôt que rien ? Ceci est une des profondes questions qu'il est facile de poser mais auxquelles il est difficile de répondre. Durant des millénaires les humains disaient simplement : "Dieu l'a créé". Un créateur existait donc avant l'univers et fit exister celui-ci à partir de rien. Mais ceci pose justement la question de qui a créé Dieu - et si Dieu n'avait pas besoin d'un créateur, la logique implique que l'univers non plus. La science a affaire à des causes naturelles (et non surnaturelles), et ainsi , doit explorer diverses voies pour savoir d'où ce quelque chose vient.
[...]

-- rleb, 12 avril 2014 - Traduit de : Michael Shermer, Scientific American, May 2012


    
File: philosophes.html - Robert L.E. Billon, 2007-12-10 - Last update: 2014-04-21